vendredi 13 janvier 2012

Les germanistes me remercieront

Les germanistes pointilleux se sont sûrement retrouvés moult fois face à une faute courante de langage : la différence entre anscheinend et scheinbar.

Petit recadrage de contexte : je vis depuis douze ans en Allemagne, pays très sympathique dont la réputation se retrouve malheureusement quelque peu entachée par toutes sortes de clichés. Mais là n’est pas la question. Mon CV n’étant pas la question non plus, je me contenterai pour l’utilité de la compréhension de révéler que j’ai fait mes études à Cologne, avant de glisser par hasard dans la vie professionnelle d’une très sympathique start-up, aujourd’hui plus si start-up que ça depuis son rachat par un géant du média. Mais passons…

Douze ans, mine de rien, ça laisse une petite marge pour faire de nouvelles connaissances. J’ai appris à rester zen face à des erreurs quotidiennes consistant à apposer un wie au lieu d’un als à un comparatif, ce qui en contexte, nous donne d’exotibles (exotiques + horribles) tournures comme : "Mein Bruder ist so viel größer wie ich !"

Je baille d’un air distrait lorsqu’une collègue prononce avec obstination : "Ich habe es gehört gehabt". Pourquoi faire simple quand la correction l’exige on peut faire compliqué ?

Je me délecte à chaque : "Es macht keinen Sinn", transposition erronnée de It doesn’t make sense. Le germaniste attentif préfèrera : "Es ergibt keinen Sinn" (au pire, un "Es hat keinen Sinn" fera l’affaire). Et enfin, je me télétransporte dans des lieux où tout n’est que luxe, calme et volupté à chaque apostrophe mal placée.

Je ne suis pas la seule.

Des blogueurs exaspérés ont formé un consortium haineux avec pour mission d’éradiquer les emplois aberrants et abusifs de l’apostrophe dans la langue de Goethe, comme par exemple, le sympathique Deppenapostroph, qui apporte la preuve en images que l’abus d'apostrophe peut déclencher une apostrophite aiguë.

Le plus grave à mon humble avis, c’est quand l’apostrophite s’étend aux manuels scolaires.



En Français, ça pourrait donner quoi ? Les maths pour l’bac ? (Et encore, si la construction ici est malheureuse, elle n’est pas fausse à proprement parler). On ne répètera jamais assez la règle :

Dans un contexte lyrique, l’apostrophe est utilisée là où certains signes doivent disparaître pour l’amour de la rime.

Ex : ew’ge Liebe pour ewige Liebe

Ou pour raccourcir une longue série de lettres, comme les amateurs de football aiment à le faire (le fan de foot aime aller droit au but haha : peu importe la ville, du moment qu’on ne perd pas le ballon des yeux, quand l’action s’accélère, il n’a pas le temps de tweeter toutes les lettres)

Ex : K’lautern pour Kaiserslautern ; M’Gladbach pour Mönchengladbach

Lorsque le pronom « es » est apposé à un mot, il est courant et logique – mais pas obligé – de contracter par une apostrophe.

Ex : Würdest du’s mir sagen ?

L’apostrophe du génitif est un mythe. Contrairement à la langue anglaise, on n’emploie pas d’apostrophe au génitif.

Ex : Sonjas Hund vs. Lucy’s dog.

Toute autre forme ici serait exaspérante fausse, à moins que...

Exception : Les noms se terminant par un –s, -x, -z  (ergo une sifflante) ne permettent pas d’identifier le génitif dans une phrase. On rajoutera donc une apostrophe en fin de nom pour montrer qu’un génitif devrait suivre.

Klaus’ Hund
Marx’ Kapital

Exception : A moins qu’un doute ne subsiste sur l’identité du sujet. Par exemple, dans une tournure comme celle-ci : Andreas Hund, sans connaître la totalité du contexte, on est en droit de se demander si l’on parle d’un Andreas ou d’une Andrea (voire un Andrea si le prénom est d’origine italienne)

Solution : Andrea’s Hund pour ramener le chien à Andrea ; Andreas Hund pour le ramener à Andreas.

Et puis c’est tout! pas d’apostrophe au pluriel, ni à l’impératif, ni parce qu’on trouve que ça fait ‘achement plus beau avec.




Cher lecteur,

Je te prie de m’excuser de cette légère digression et reviens à mon sujet d’origine. Mais, si, tu te souviens! « Les germanistes pointilleux se sont sûrement retrouvés moulte fois face à une faute courante de langage : la différence entre anscheinend et scheinbar. »

Je n’ai en 12 ans rencontré que 2 (en lettres : DEUX) autochtones qui l’emploient correctement. L’erreur n’est pas régionale, elle est collective et se propage plus vite que l'E. coli dans paquet de viande hachée mal cuite.

Anscheinend = apparemment
Scheinbar = apparemment

Oui, mais non. Anscheinend tu utiliseras quand les choses que tu avances sont ce qu’elles semblent être.

Anscheinend ist mein Satz grammatikalisch korrekt. à Ma phrase semble grammaticalement juste.


Scheinbar, employer tu ne devras que si les choses que tu avances semblent être ce qu’elles sont, mais qu’en réalité, ce n’est qu’une apparence.

Scheinbar war mein Kauf ein Schnäppchen à J’ai acheté quelque chose qui semblait être une bonne occasion (mais en fin de compte je me suis fait rouler).

Il est vrai que dans la langue courante, « on » a tendance à ne pas vraiment faire attention. Tu l’auras compris, cher lecteur : « on » n’inclut pas l’auteur de ce post, dont les poils se hérissent chaque fois que quelqu’un fait la faute devant elle. 

Et qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas grave. Grave, ça l'est. Parce que si un jour quelqu’un te fait remarquer que ton fond de culotte est en train de cramer, tu seras bien content de gagner de précieuses secondes en saisissant tout de suite que c’est vraiment le cas.

In girum imus nocte et consumimur igni 

vendredi 6 janvier 2012

Balade vs. Ballade



Ca y est ! Après des semaines d’hésitation, de remise en question, de sueurs froides dans l’optique : tu n’y arriveras jamais, « que diable allais-tu faire dans cette galère ? », l’envie de communiquer a été la plus forte et je me lance.

Mon premier post.

Je suis émue.

Cher lecteur, j’aurais adoré te souhaiter les traditionnels vœux de bonne année, mais toi et moi, on ne se connaît pas encore assez pour ce genre de familiarités. Je devrai donc me contenter d’un simple : Bienvenue sur ce blog ! (mais le cœur y est)

J’ai tellement d’idées et de choses à raconter que ce premier post sera… un coup de gueule. Tu vas peut-être te dire : « Ca commence bien ! » et tu auras une envie subite de cliquer sur CTRL+F4 ou Pomme+W. Laisse-moi t'expliquer pourquoi c’est mal :

  1. L’auteur de ce blog – qui n’ose ni parler de bloggeuse en se référant à elle-même, persuadée que ce titre se mérite, et qu’un seul malheureux post est très insuffisant pour se nommer comme telle, ni ne peut se résoudre à utiliser la forme féminine en vogue : l’auteurE, qu’elle qualifie de crime linguistique dissonant  – en serait très peinée.
  2. Quelqu’un de fort sensé a déclaré un jour qu’il faut toujours laisser aux gens une chance de convaincre leurs semblables.
  3. C’est vendredi. Il est temps de lever le nez de Facebook son stress professionnel pour se relaxer l’esprit deux minutes. 
  4. L’auteur de ce blog en serait très peinée. (Redondance, j’en suis consciente et je m’en excuse) 

L’idée de ce premier post m’est venue en lisant le dernier post des Piles Intermédiaires, dans lequel la très talentueuse et très drôle auteure maîtresse des lieux évoque son très profond et très justifié ressentiment vis-à-vis des crimes linguistico-syntaxico-orthographiques (sic) fonctionnant vraisemblablement sur le principe de la multiplication des pains.  

Sur le plan purement linguistique, beaucoup de choses m’exaspèrent. Sur le plan orthographique, j’ai honte de dire que j’ai parfois tojours du mal à rester objective. Et si j’arrive à conserver un soupçon d’indulgence humaniste selon l’état d’esprit du fautif (on peut être le fils spirituel de Bernard Pivot, parfois il arrive qu'un mot ne « rentre pas », on a testé tous les procédés mnémotechniques, on a même tenté l’auto-hypnose et envisagé un exorciste, supervacuāneus ! La faute est inéluctable), il m’est extrêmement difficile de ne pas fantasmer avec nostalgie sur le bon vieux temps face à des réflexions pertinentes comme : l’ortografe sassair a ri1 lol (vécu) voire « Pour quoi faire ? Ma secrétaire se charge de tout » (vécu)


Exemple de raisonnement parfaitement sensé 



Assez discouru ! Une image vaut mieux que des mots! (celle-ci me vaut tous mes maux.) 





Libé








Le Monde






Le Point


Nouvel Obs

Paris Match

Deuxième 



Le Parisien

Champion en nombre d'occurences

Inutile de préciser que ça fonctionne aussi dans le sens inverse. 


musicMe

Lecteur endurant, tu as compati jusqu’ici, je ne te ferai pas l’affront d’un cours de grammaire. Tu as bien assimilé depuis la 6ème que balade et ballade sont des homophones et apprécies de temps à autre une salutaire balade en forêt, tes écouteurs hi-tech régalant tes tympans nostalgiques de la Ballade d’Actarus (tu as le droit d’écouter autre chose, mais hein, bon, c’est pour l’exemple). Le genre féminin s'applique aux deux, donc. Ca, c’est fait.

Par contre, tu ne sais peut-être pas comment on en est arrivés à cette tragédie confusion (quoique tragédie ne serait pas du tout excessif dans ce contexte) 

Villon, s’il revenait : sa ballade n’a jamais aussi bien porté son  nom 

Dans mon odorante Provence natale, on appelait « ballada » une chanson à danser, ce terme n’étant pas sans rappeler le « ballare » italien, qui signifie danser. Voilà donc les ancêtres de notre ballade poétique. Jusque là, rien de transcendant, que du logique, me diras-tu. Mais alors quel est le petit plaisantin qui s’est permis de battre de l’"l" et de nous imposer une balade-promenade qui n’évoque aucunement le besoin d’entamer un menuet sur les sommets du Garlaban ? 

Un petit indice : les transports en commun citadins (non, je ne suis pas encore mûre pour le recyclage).

Explication : dans les rames de notre bon vieux et moins vieux métro, il n’est pas rare alors qu’on essaie de se concentrer sur une traduction échue depuis 27 heures, de se retrouver face à un sympathique joueur d’accordéon qui s’époumone dans l’espoir de recevoir quelques centimes sonnants et trébuchants. La traductrice peu mélomane qu’est l’auteur de ce blog se retouve dans ces cas à maudire l’état de ses finances son côté écologique qui l'a fait renoncer au luxe d’une petite Corsa / Smart / Twingo / 207 (n’importe quoi du moment que ça roule et nous permet d’éviter les pieds-de-grue dans le froid et les accroches plus que douteuses de certains jeunes godelureaux débordant d’outrecuidance). 

Efficace technique de drague: "Ma'moiselle, quand on est à votre caisse on se croit au paradis"

Flashback de 900 ans, les mendiants et jongleurs médiévaux à la recherche de quelques piécettes déambulent au gré des ruelles en chantant des ballades. Ballader a alors le sens de circuler en chantant. Et prend deux "l"... Ou un seul... Et oui, à cette époque où la majorité des fidèles chrétiens n’a pas appris à lire et n’en a pas l’utilité grâce à la politique zéro tolérance de l’Eglise (grâce, tu t'en doutes, est employé dans ce contexte pour exprimer le sarcasme), on se contrefiche un peu des règles de l’orthographe. Heureusement qu’un certain Monsieur Poisson est venu remettre un peu d’ordre dans les esprits. S’il avait eu la bonne idée de naître quelques centenaires plus tôt, baladin aujourd’hui prendrait peut-être les deux « l » qu’il mérite. Quoique… Au XVIème siècle, la 1ère édition du Dictionnaire de l’Académie Française préconise « balladin ». Idem pour Furetière.

Balade en forêt version Amnésia ou Comment oublier à quoi ressemble un arbre.
  
Promis, la prochaine fois, je fais le procès des utilisateurs critiques du terme 
« entamer ». Chers journalistes, si vous voulez bien m'accorder ce minuscule plaisir, ARRÊTEZ DE L’UTILISER A TORT ET A TRAVERS A LA PLACE DE COMMENCER !

T’oh !